Intervention de Hiroyuki Matsuda (translated by Marie Boussard)
1 LE MONDE DE LA VIE, GARDIEN DE LA PLURALITE
Permettez-moi de me prŽsenter : Hiroyuki MATSUDA, professeur associ* * l'Institut des recherches ocŽanographiques de l'Universit* de T™ky*. Les diapositives s'il vous pla”t. A l'heure actuelle le nombre des espces qui vivent sur la Terre est en train de diminuer avec une rapidit* sans Žquivalent dans l'histoire de notre plante. A la fin du secondaire, les dinosaures et avec eux quantit* d'autres organismes vivants ont dŽfinitivement disparu de la surface du globe. Mais cette pŽriode de disparitions massives a dur* plusieurs millions d'annŽes alors que depuis le dŽbut du XXme sicle, c'est quotidiennement que des espces s'Žteignent un peu partout dans le monde. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
2 LA CONVENTION SUR LA DIVERSITE BIOLOGIQUE ET LES ECOSYSTEMES
Aujourd'hui, l'humanit* toute entire est confrontŽe au problme du maintien de la diversit* des tres vivants. Depuis la crŽation de la Convention sur la diversit* biologique, nous avons commenc* * Žtudier les moyens de faire coexister l'homme avec les espces vŽgŽtales et animales sauvages. Pour ma part, je vais maintenant vous parler de la diversit* des tres vivants. Outre qu'il existe une multitude d'espces vivantes, les individus d'une mme espce ne sont pas tous strictement identiques. Cest gr‰ce * la biodiversit* que les tres vivants ont pu surmonter les changements environnementaux violents qui ont affect* la plante depuis que la vie y a fait son apparition il y a de cela quelque quatre milliards d'annŽes. Les confŽrenciers qui m'ont prŽcŽd* vous ont parl* de l'esprit ludique et du confort, deux notions dont le XXme sicle et son Žconomie de croissance n'ont gure tenu compte. Au lieu de se prŽoccuper d'amŽlioration des rendements, l'homme aurait pourtant tout intŽrt * prendre en considŽration la richesse de la rŽalit* telle qu'il la peroit par le biais de ses cinq sens. Le respect de la diversit* que l'on peut observer dans le monde des tres vivants est un ŽlŽment essentiel de ce changement d'attitude, comme le suggre le professeur Yoshio Tsukio, l'organisateur du colloque qui nous rŽunit aujourd'hui. Quand on parle d'Žvolution des espces, les gens pensent en gŽnŽral aussit™t * Charles Darwin, le thŽoricien du transformisme. Celui-ci dŽfinit la sŽlection naturelle - autrement dit la libre compŽtition - comme " la persistance du plus apte * la conservation de la descendance ". Mais * y bien rŽflŽchir, lorsqu'on prŽtend s'inspirer de la diversit* des tres vivants, cela semble Žtrange. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
3 UN EXPOSE EN TROIS POINTS L'expos* que je vais faire aujourd'hui portera essentiellement sur trois points. En premier lieu, il n'y a pas de contradiction entre symbiose et libre compŽtition. Si les tres vivants ont dŽvelopp* des relations de type symbiotique c'est parce que l'entretien de bonnes relations avec d'autres espces Žtait favorable * la survie de leur descendance. En second lieu, l'environnement de la plante Žtant d'une diversit* infinie, l'Žvolution est toujours le fruit non pas de raisonnements dŽductifs mais d'une dŽmarche * l'aveuglette par t‰tonnements successifs. En l'absence de solution idŽale, les tres vivants se contentent de rŽpondre de la faon la mieux appropriŽe au problme. En troisime lieu, de mme qu'il est difficile d'Žtablir des relations de confiance entre humains et trs facile de les dŽtruire, de mme la biodiversit* est le rŽsultat d'une longue et laborieuse Žvolution. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
4 DES GENES EGOISTES On a affirm* pendant longtemps que les tres vivants Žtaient animŽs par un instinct de conservation de l'espce et que la femelle de la mante religieuse dŽvorait le m‰le pendant l'accouplement pour s'assurer une descendance. Mais aujourd'hui cette hypothse est remise en question. On tend davantage * expliquer l'Žvolution de faon rationnelle et * penser que les tres vivants sont poussŽs par un souci d'assurer non pas la prospŽrit* de toute une espce, mais celui de leurs propres rejetons. Pour qu'une espce se multiplie de faon optimale, il y a tout intŽrt * ce que le nombre des individus femelles soit supŽrieur * celui des m‰les. Or la quasi totalit* des espces vŽgŽtales et animales comptent * peu prs autant de m‰les que de femelles. Si l'un des deux sexes est lŽgrement infŽrieur * l'autre sur le plan numŽrique, il trouvera plus facilement des partenaires et pourra augmenter d'autant le nombre de ses descendants. Pourquoi des gnes Žgo•stes s'entraident-ils mutuellement? La diapositive suivante s'il vous pla”t.
5 RELATION A SOMME NULLE ET RELATION A SOMME NEGATIVE ET POSITIVE
La rŽponse * cette question est trs simple : toute perte infligŽe * un partenaire n'implique pas forcŽment un gain pour soi-mme. Quand on se trouve dans une situation de conflit et que chacun est fermement dŽcid* * vaincre * tout prix, il est impossible d'entretenir de bonnes relations. C'est ce qu'en terme d'Žconomie on appelle une relation * somme nulle. En revanche, si l'on tue son partenaire, on risque fort de ne pas pouvoir se maintenir en vie. Prenons pour exemple le cas du colibacille (Eschrichia coli O157:H7) responsable de la vague d'intoxication alimentaire qui a frapp* le Japon cette annŽe. Si un germe pathogne tue un tre humain aussit™t qu'il l'infecte, il perd aussit™t toute chance d'en contaminer un autre. A l'Žpoque fŽodale, les Japonais utilisaient une expression particulirement imagŽe pour dŽcrire la faon dont les seigneurs de la guerre exploitaient - comme les virus exploitent l'homme - les paysans " Ne pas laisser vivre, ne pas tuer (ikasazu, korosazu)". La diapositive suivante s'il vous pla”t.
6 LES TROIS TYPES DE RELATIONS ENTRE ESPECES Dans le monde des tres vivants, les relations entre espces ne se limitent pas seulement * la symbiose et * son contraire, la rivalit*. En fait, on observe trois grands types de relations. Quand deux espces tirent chacune parti de la relation qui les unit, on parle de mutualisme. Lorsque l'une des deux s'affirme aux dŽpens de l'autre, on qualifie la relation d'exploitation. Enfin il existe aussi des cas o* les deux espces vivent dans une relation de compŽtition dont l'issue semble toujours indŽterminŽe. A l'heure actuelle, quantit* de gens affirment qu'il faut remplacer les rapports de compŽtition par une relation de symbiose, alors qu'en fait, il vaudrait beaucoup mieux envisager une Žvolution du parasitisme vers le mutualisme. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
7 COMPETITION ET LIBRE CONCURRENCE Comme je l'ai dit plus haut, dans le monde de la vie, l'Žvolution est comparable au phŽnomne de la libre concurrence dans le monde de l'Žconomie. Les tres vivants se placent toujours dans un rapport de libre compŽtition, que leurs relations prennent la forme d'une entraide, d'une exploitation ou d'une rivalit*. Les mutations biologiques surviennent indistinctement chez tous les tres vivants. Dans le monde de la libre compŽtition biologique, chacun fait de son mieux pour rŽussir. Cela ne veut pas dire pour autant que l'on soit uniquement anim* par le dŽsir d'Žvincer ses adversaires. La libre compŽtition peut aussi se manifester sous l'aspect de l'entraide mutuelle ou de l'exploitation. En d'autres termes, ce que dans le domaine de l'Žcologie on appelle les relations de mutualisme, d'exploitation et de compŽtition est entirement le rŽsultat de l'Žvolution de gnes Žgo•stes. Le terme de libre concurrence n'a donc pas le mme sens quand il est employ* par un Žconomiste ou un Žcologiste. A la rŽflexion, je ne considre nullement comme une mauvaise chose le fait que l'on remette en question le r™le excessif jou* par la compŽtition dans notre monde. Mais je pense aussi qu'il ne faut pas espŽrer Žchapper * cette rgle de libre compŽtition puisque c'est la loi de la nature. L'important c'est de comprendre et d'admettre qu'on a tout * gagner * entretenir de bonnes relations avec ses partenaires. Dans son livre The Evolution of Cooperation, le politologue amŽricain Robert Axelrod Žcrit que le terme d'individualisme lui semble mieux appropri* que celui d'Žgo•sme pour dŽcrire ce qui se passe dans le monde vivant. La vache mange de l'herbe. Pour digŽrer cette herbe il lui faut des enzymes qu'elle ne fabrique pas elle- mme mais qui lui sont fournies par des bactŽries vivant en symbiose avec elle dans son systme digestif. Ces bactŽries, qui sont quant * elles incapables de survivre en dehors de l'estomac de la vache, entretiennent des relations de type mutualiste avec leur h™te. L'une et l'autre espce restent en vie en tirant parti l'une de l'autre. Ce type de solidarit* est le rŽsultat d'une recherche obstinŽe menŽe par chacun dans le sens de ses propres intŽrts. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
8 L'ABEILLE BUTINEUSE
Dans la symbiose de type mutualiste chacun des partenaires espre toujours pouvoir tirer davantage de bŽnŽfices de la situation * la moindre occasion. Prenons l'exemple des abeilles. Lorsqu'elles butinent les fleurs, elles leur prennent non pas du pollen mais seulement du nectar. En revanche, quant certaines orchidŽes prennent l'aspect d'une abeille pour attirer les m‰les, le bourdon qui leur rend visite repart charg* de pollen et non de nectar auquel il n'a pas accs. Dans le monde vivant, les relations de symbiose semblent reposer non pas sur une nŽgation systŽmatique de la compŽtition mais sur une recherche dans le sens de l'intŽrt de chacun. Ceci dit, il y a des cas o* il est bien difficile de juger et de dire si chacun des partenaires est vraiment le bŽnŽficiaire de la relation, s'il s'agit d'un cas de parasitisme ou encore d'une symbiose de type mutualiste. De la mme faon, dans les sociŽtŽs humaines on se demande parfois si les rapports entre mari et femme sont ou non bŽnŽfiques aux deux partenaires.
9 UNE SYMBIOSE PLANETAIRE
Pour ma part, je dois dire que l'absence de limite bien dŽfinie entre parasitisme et mutualisme ne me dŽrange pas. Ce qui est sžr, c'est que dans le rgne vŽgŽtal comme dans le rgne animal, aucun tre vivant, l'homme y compris, ne peut survivre sans le secours d'autres organismes vŽgŽtaux ou animaux. Certaines espces animales seraient incapables de survivre sans les plantes qui leur servent de nourriture. De leur c™t*, les vŽgŽtaux ont besoin de bactŽries pour assimiler les ŽlŽments nutritifs (phosphore, azote etc...) qu'ils puisent dans le sol. C'est ce que l'on appelle le cycle de l'azote, autrement dit la circulation des composŽs de l'azote dans la nature par l'intermŽdiaire des organismes vŽgŽtaux ou animaux. Les hommes ont recours * un nombre particulirement Žlev* d'tres vivants qu'ils utilisent comme des ressources naturelles. Mais il ne faudrait pas oublier qu'exterminer d'autres tres vivants Žquivaut * se dŽtruire soi-mme. Quand nous nous prŽoccupons de "protŽger la nature", nous sommes tout autant motivŽs par notre propre intŽrt que par celui de la nature elle-mme. Le physiologiste amŽricain James Havelock est l'auteur de la thŽorie Gaia selon laquelle la Terre toute entire serait une seule et unique existence. Mais nous les biologistes nous pensons que notre Žcosystme est compos* d'individus qui tout en disposant d'une grande libert* n'en produisent pas moins un certain ordre, lequel est le rŽsultat de leurs actions rŽciproques. Dans le domaine de la musique, le terme de polyphonie dŽsigne un chant o* plusieurs voix indŽpendantes se combinent pour former un ensemble harmonieux. Dans un Žcosystme c'est un peu la mme chose qui se passe : toutes les espces sont solidaires les unes des autres, bien que chacune Žvolue librement. La diapositive suivante s'il vous plait.
10 STRATEGIE D'ADAPTATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Comme je l'ai dit plus haut, les espces Žvoluent en vertu de mutations et d'une sŽlection naturelle. La vie est un ensemble de phŽnomnes si ingŽnieux et si complexes que les hommes n'ont * ce jour jamais rŽussi * l'imiter et que certains en attribuent la crŽation * une puissance divine. Nous autres biologistes spŽcialistes de l'Žvolution, quand nous voulons expliquer le degr* d'ingŽniosit* d'un tre vivant, nous avons recours * la technique mathŽmatique de l'optimisation. Par exemple, nous comparons le temps nŽcessaire * un organisme pour se procurer sa nourriture et celui qu'il lui faut pour se mettre * l'abri de ses ennemis naturels. Plus les ennemis naturels sont nombreux, plus le temps consacr* * la nourriture doit diminuer, une conclusion d'ailleurs confirmŽe par les faits. Mais que se passe-t-il quand la nourriture devient plus abondante? On peut supposer que dans certains cas la nourriture sera prise de faon plus active, alors que dans d'autres, le sujet observ* se mettra calmement * l'abri de son ennemi naturel, aussit™t aprs avoir absorb* rapidement une certaine quantit* de nourriture. C'est exactement ce qui se passe dans la rŽalit*. On peut essayer de prŽvoir et d'Žvaluer mathŽmatiquement les avantages et les inconvŽnients de toute chose, comme par exemple le nombre d'oeufs idŽal qu'une espce doit mettre au monde, l'intŽrt qu'il y a pour elle * passer par une pŽriode d'hibernation ou * se constituer une zone d'influence. On peut aussi procŽder d'une toute autre manire. Prenons l'exemple d'une personne qui voudrait trouver l'itinŽraire le plus court pour parcourir tous les pays de l'Europe, un problme quasiment insoluble. Pour le rŽsoudre, il faut en effet passer en revue toutes les possibilitŽs, ce qui prend un temps Žnorme, mme avec les calculatrices modernes. Certains ont donc eu l'idŽe de chercher * imiter le processus de l'Žvolution dans le monde vivant. C'est ce que l'on appelle l'intelligence artificielle. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
11 LE PROBLEME DU VENDEUR ITINERANT Supposons qu'un ordinateur soit programm* pour calculer le temps nŽcessaire * 100 individus virtuels pour parcourir 100 itinŽraires diffŽrents * travers un ou des pays donnŽs. La machine peut calculer le temps qu'il faut pour parcourir chaque itinŽraire et sŽlectionner les 10 trajets les plus courts. Son travail Žquivaut * une sŽlection naturelle. On continue l'opŽration en ajoutant * chacun de ces 10 trajets 10 autres itinŽraires pratiquement similaires qui diffrent * peine de leurs modles. Certains constituent un parcours plus court, d'autres un parcours plus long. L'ordinateur sŽlectionne alors * nouveau les10 trajets les plus courts et procde * nouveau comme prŽcŽdemment. Ce travail est possible gr‰ce aux ordinateurs actuels qui donnent directement la rŽponse (en l'occurence les meilleurs trajets possibles) dans un dŽlai beaucoup plus court que si l'on devait effectuer tous les calculs de probabilit*. Mais l'interprŽtation des rŽsultats est loin d'tre chose facile. 0n a sŽlectionn* 10 individus sur les 100, car choisir un seul individu serait nettement moins efficace. Force de se rendre * l'Žvidence : mieux vaut se contenter d'un rŽsultat un peu approximatif plut™t que rechercher la rŽponse idŽale parce que c'est la seule faon de conserver un Žventail de possibilitŽs qui s'avreront prŽcieuses par la suite. Bien qu'on ne puisse dire au juste s'il est prŽfŽrable d'avoir un Žchantillon de 10 ou de 20 individus, mieux vaut avoir un large choix. En fait, la premire conclusion * laquelle nous amne l'Žtude de la diversit* c'est qu'il faut abandonner toute idŽe de trouver un individu idŽal ou une rŽponse idŽale * un moment donn*. Si tout le monde pensait la mme chose, il n'y aurait pas de progrs possible. Si nous avions tous la mme conception des choses, nous ne pourrions en aucun cas progresser. Pour qu'il y ait progrs, il faut toujours qu'il y ait des individus qui pensent diffŽremment des autres et qui soient capables d'admettre d'autres points de vue que le leur. Les choses se passent de la mme manire dans le monde de la vie. Il n'est pas dit que notre faon de vivre soit la mieux adaptŽe * notre environnement. Qui plus est, le dit environnement est en perpŽtuel changement d'un instant * l'autre et d'un endroit * l'autre. Le problme de la vie est encore plus complexe que celui du choix du meilleur itinŽraire * travers l'Europe dont je viens de parler et nul ne peut dire quel est le mode de vie qui nous convient le mieux. Quoi qu'il en soit, du fait des mutations et de la sŽlection naturelle, le mode de vie plus ou moins adapt* * l'environnement qui est le n™tre est en train d'Žvoluer. On peut dire que la tentative de trouver une rŽponse * ce problme par l'intelligence artificielle est en elle-mme une preuve de la validit* de la thŽorie de l'Žvolution de Darwin. Mais il semble aussi que l'on ait fini par comprendre qu'on aurait bien du mal * trouver une vŽritable solution par ce biais. En dŽfinitive, seule l'intelligence humaine semble * mme de rŽsoudre vŽritablement le problme en allant au fond des choses. Jusqu'* prŽsent l'intelligence artificielle s'est montrŽe incapable de crŽer de la musique ou des haiku, une forme de poŽsie que les Japonais aiment au plus haut point. On peut facilement obtenir de 100 individus virtuels qu'ils composent de la musique. Le problme qui se posera sera de faire un choix entre les meilleures mŽlodies composŽes de cette manire. Calculer le temps que durera un voyage, c'est trs simple, mais crŽer une oeuvre d'art c'est une tout autre affaire. Dans les sociŽtŽs humaines, il existe quantit* de critres d'apprŽciation difficiles * saisir. On peut facilement mesurer l'adaptation des tres vivants * leur milieu en comptant le nombre de leurs rejetons. Mais on aura beaucoup plus de mal * expliquer le but de la vie et les ordinateurs ne sont pas prs d'apporter une rŽponse * ce type de question. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
12 LE PARADOXE DE LA DIVERSITE Jusqu'* prŽsent, j'ai parl* des relations qui existent entre diversit* et dŽveloppement. Je voudrais maintenant aborder un autre aspect de la biodiversit* * savoir que pour qu'un Žcosystme se maintienne longtemps, il vaut mieux qu'il soit compos* d'individus trs diversifiŽs. C'est sur cette observation que se fonde la thse selon laquelle il faut protŽger la diversit* du monde vivant. Pourtant, si l'on se place du point de vue des mathŽmatiques, on arrive au rŽsultat contraire. En effet, si l'on part de l'hypothse que les relations entre espces sont le fait du hasard, plus les espces sont nombreuses, moins elles ont de chances de toutes coexister. Qui plus est, plus le nombre des espces avec lesquelles une espce donnŽe a des relations est Žlev*, plus l'Žcosystme devrait tre instable. C'est ce que l'on appelle le paradoxe de la diversit*. Ce problme que personne n'a encore rŽsolu * ce jour est le plus sŽrieux de tous ceux auxquels se trouve confrontŽe l'Žcologie. Et tant qu'on ne l'aura pas rŽsolu, la thse de la nŽcessit* d'une protection de la diversit* restera dŽnuŽe de tout fondement. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
13 CHAINES ALIMENTAIRES ET EVOLUTION COMMUNE Pour ma part, je pense que la cl* du problme se trouve dans la flexibilit* des relations entre tres vivants. La thŽorie mathŽmatique * l'origine du paradoxe de la diversit*, est fondŽe sur l'hypothse que les relations entre les tres vivants sont toujours identiques, autrement dit que l'espce A mange toujours l'espce B et l'espce C. Or cette hypothse est fausse. Si l'espce B prolifre, l'espce A dŽdaigne l'espce C et focalise son attention sur l'espce B. Et quand c'est l'espce C qui se multiplie, c'est elle qui devient la proie favorite de l'espce A. Les relations entre les habitants d'un Žcosystme, loin d'tre statiques, changent en fonction des circonstances. Quand on y rŽflŽchit, cette tendance semble plus propre * assurer la stabilit* d'un Žcosystme que des relations statiques. Pour ma part, je suis prt * parier que les Žcosystmes sont d'autant plus stables que les espces qui y vivent sont plus nombreuses, bien que les recherches menŽes en ce sens ne soient pas encore terminŽes. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
14 LA BANDE DESSINEE DE GARY LARSON Pour qu'un Žcosystme soit stable, il ne suffit pas qu'il abrite de nombreuses espces. Il ne faut pas oublier le fait que chaque espce entretient des relations avec les autres espces vivantes. C'est d'ailleurs le sujet de la bande dessinŽe satirique de Gary Larson. Le monde vivant est plein de dangers : on y court toujours le risque d'tre attaqu* par un ennemi naturel, de mourir de faim et de ne pas rŽussir * avoir de descendance. Si l'on veut protŽger toutes les espces, il faut capturer tous les animaux sauvages, les enfermer sŽparŽment dans des zoos o* ils seront nourris par les soins de l'homme. Comme dans la bande dessinŽe de Gary Larson, cela reviendrait * vouloir s'enfermer dans un vase clos. On pourrait aussi envisager de protŽger seulement les gnes d'une espce. Mais dans ce cas, nous ne pourrons pas conserver notre environnement si agrŽable, parce que sa survie est Žtroitement liŽe au maintien de la libert* de relation qui existe entre les nombreuses espces vivant dans la nature * l'Žtat sauvage. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
15 LA PROLIFERATION DES ESPECES IMPORTEES Les relations entre espces sont longues * Žtablir et faciles * dŽtruire, exactement comme les relations de confiance entre tres humains. Il arrive parfois qu'une espce d'origine Žtrangre fasse soudainement irruption dans un Žcosystme o* elle fait des ravages. C'est le cas, par exemple d'un insecte originaire du continent amŽricain appel* hyphantria cunea qui a Žt* introduit * la faveur de la Seconde Guerre mondiale au Japon et en Europe o* il a caus* d'Žnormes ravages dans les cultures, en particulier celles de mžrier. Si cet insecte avait Žt* import* en mme temps que ses ennemis naturels on aurait sans doute pu Žviter sa prolifŽration, mais comme ce n'Žtait pas le cas il s'est particulirement bien adapt* * son nouveau territoire, ainsi qu'on a pu le constater dans bien d'autres exemples. Dans les sociŽtŽs humaines, il arrive aussi que des hommes parfaitement adaptŽs au milieu o* ils vivaient jusque-l* dŽbarquent dans un lieu inconnu dont ils ne comprennent pas les coutumes et o* ils sment le dŽsordre. Dans le monde vŽgŽtal et animal, aprs l'irruption brutale d'une espce importŽe, le milieu envahi finit toujours par trouver une parade et par au moins neutraliser l'intrus : un ennemi naturel fait son apparition, les espces qui lui servent de proie s'arrangent pour lui Žchapper ou bien un rival puissant se manifeste et rŽussit * le chasser.
16 La grande renouŽe Je voudrais maintenant parler de la grande renouŽe (en japonais itadori), une espce vŽgŽtale d'origine japonaise qui pousse au pied du mont Fuji. La grande renouŽe a Žt* importŽe en Angleterre o* elle pousse notamment aux abords de l'aŽroport d'Heathrow. En Grande Bretagne, elle est beaucoup plus grande que dans son pays d'origine puisqu'elle peut atteindre jusqu'* 3 mtres de hauteur. On voit donc que placŽs dans un autre environnement que celui de leur milieu d'origine, les tres vivants changent parfois d'aspect. On pourrait aussi citer des exemples d'espces qui doivent leur survie * l'intervention de l'homme. On peut ainsi parfaitement cultiver dans la plupart des jardins des plantes qui poussent * l'Žtat sauvage dans les vallŽes humides et ne supportent pas qu'on les transplante dans un environnement naturel similaire. Comment expliquer ce phŽnomne ? C'est que dans un jardin mme trs diffŽrent de son milieu naturel, la plante n'aura pas * affronter une autre espce plus vigoureuse qu'elle, puisque le jardinier est l* pour y veiller. Autrement dit, il y a des cas o* quand l'homme intervient, une espce qui avait du mal * s'adapter * un environnement trs proche de son milieu d'origine rŽussit parfaitement * se dŽvelopper dans un environnement compltement diffŽrent de son milieu naturel. Il semble donc qu'il soit possible se sauver des espces en voie de disparition en les faisant vivre dans un environnement autre que leur milieu d'origine. Le problme c'est qu'on se trouve alors dans le cas de la bande dessinŽe de Gary Larson dont j'ai parl* plus haut. Assurer la survie d'espces sauvages en les transfŽrant dans un milieu qui n'est pas le leur, c'est un comportement contraire aux objectifs de la Convention sur la diversit* biologique. Celle-ci se propose en effet de protŽger non seulement les espces mais aussi le milieu naturel dans lequel elles vivent. Bien entendu, vouloir protŽger l'environnement tout en poursuivant le dŽveloppement, c'est s'exposer * affronter des difficultŽs. Mais le jeu en vaut bien la chandelle. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
17 UNE TRIPLE LIMITE Les hommes ont surpeupl* la plante et cela bien souvent aux dŽpens d'autres espces vivantes. Si la population mondiale continue * augmenter de la sorte, que la croissance Žconomique se poursuit et que le taux de dioxyde de carbone dans l'air devient encore plus Žlev*, notre plante, son Žcosystme et l'homme lui- mme vont de toute Žvidence se trouver dans une situation particulirement critique. C'est pourquoi je pense qu'il faut orienter le dŽveloppement en priorit* vers une amŽlioration de la qualit* plut™t que vers une augmentation des rendements. On parle beaucoup de la nŽcessit* de limiter la croissance de la population mondiale et l'ŽlŽvation du taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphre. Pour ma part, je pense qu'il y a une troisime limite trs importante que les hommes devraient se fixer, * savoir celle de la quantit* moyenne de calories que devrait consommer chaque personne. Nous qui vivons dans des pays dŽveloppŽs, nous mangeons * l'Žvidence beaucoup trop, ce qui a pour effet de nuire * notre sant*. Qui plus est, l'agriculture intensive produit dŽj* beaucoup plus que nŽcessaire et elle Žpuise les terres tandis que la pche ravage les fonds marins. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
18 Produit national brut et nutrition Ce graphique Žtablit une comparaison entre le produit national brut (PNB) par habitant et le mode de nutrition de chaque pays. Les chiffres que l'on voit ici sont ceux du Japon, ceux-l* ceux de la France. On notera qu'au Japon, o* le PNB par habitant est extrmement Žlev*, la quantit* de nourriture consommŽe est trs faible. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
19 NUTRITION ET LONGEVITE Ce graphique met en rapport la quantit* de nourriture consommŽe et la longŽvit* moyenne. Ici c'est le Japon et l* la France. Bien que la relation de cause * effet n'ait pas Žt* formellement Žtablie, on remarquera que les habitants du Japon qui consomment nettement moins de calories que n'importe lequel des peuples occidentaux dŽtiennent le record mondial de longŽvit*. On peut tout * fait envisager une limitation de la quantit* de calories consommŽes; les habitants des pays dŽveloppŽs ne s'en porteraient d'ailleurs que mieux. Et en faisant preuve d'un peu d'ingŽniosit* ils pourraient parfaitement continuer * faire des repas agrŽables mais pauvres en calories. La diapositive suivante s'il vous pla”t.
20 LE SIECLE DE LA SYMBIOSE Pour moi, le XXIme sicle sera le "sicle de la symbiose". Puisque le XXme sicle a Žt* celui de la compŽtition, du gaspillage et de l'uniformisation, le suivant devra tre le sicle de la symbiose, de la survie et de la diversit*. Cela ne signifie pas pour autant que je souhaite que ce soit la fin du dŽveloppement ou que l'on puisse mettre un terme dŽfinitif * toute atteinte * l'environnement. Je crois que les hommes devraient chercher * ne plus nuire * l'environnement et aux espces vŽgŽtales et animales sauvages, tout en s'efforant d'utiliser de manire efficace des ressources que l'on a ignorŽes jusqu'* prŽsent. Je le rŽpte une fois de plus, je ne pense pas qu'il faille mettre un terme au dŽveloppement. Les sociŽtŽs humaines sont soumises * des rgles. Mme si on limite la production de masse, les hommes continueront * aller dans le sens du dŽveloppement et du progrs. La libre compŽtition n'est pas du tout incompatible avec l'adoption de rgles. Elle ne va pas non plus * contresens du respect de l'esprit de solidarit*. Les hommes du XXIme sicle devront s'en souvenir. Voil* ce que j'avais * vous dire. Je vous remercie de m'avoir prt* une oreille attentive.